Textes de Didier Reboussin




R.-M. de Nizerolles : L'imaginaire populaire des années 1930 | Didier Reboussin | 2024

Par | 15/12/2024 | Lu 352 fois


Remise en lumière ce prolifique écrivain, totalement oublié de nos jours, qui influença la génération d'amateurs qui permit l'essor de la science-fiction en France à partir des années 1950 💡



Les Aventuriers du ciel @ éditions J. Ferenczi & Fils, première parution : 1935 | Illustrateurs : anonymes
L'entre-deux guerres, période incertaine durant laquelle la France - menacée sur ses frontières par des régimes totalitaires – ressentit les conséquences démographiques et sociétales du premier conflit mondial, vit se développer une abondante littérature relevant des genres de l'imaginaire. En réaction à une réalité inquiétante, l'évasion qu'autorisait le merveilleux scientifique ou l'anticipation eut-elle valeur de refuge face aux réalités du moment ? Cette question s'adresse tant à la production romanesque conventionnelle qu'au feuilleton hebdomadaire destiné à un public jeune et/ou populaire. Ce n'est donc peut-être pas un hasard si cette période représenta un âge d'or pour une pléiade d'écrivains prolifiques dont les carrières se prolongèrent parfois après le second conflit mondial. Les noms de Maurice Limat, Jean de la Hire, Max-André Dazergues, Paul Berato, Adrien Sobra ou René Marcel De Nizerolles viennent naturellement à l'esprit dès lors que l'on aborde les rives des littératures de l'imaginaire.

De tous, c'est sans doute R.M. De Nizerolles qui influença le plus la jeune génération d'alors par son feuilleton Les Aventuriers du Ciel. Henri Bessière, pour ne citer que lui, reconnut sans ambages tout ce qu'il lui devait et le pasticha ouvertement dans Les conquérants de l'univers. Il semble même que Hergé, pour son album Le temple du soleil, se soit fortement inspiré d'une des histoires signées R.M De Nizerolles, Le maître du soleil, publiée en 1942. Hergé s'intéressa-t-il aux péripéties du tout premier Tintin ? Enfin Jean Ray dans son Malpertuis ne s'inspira-t-il pas de cette idée avancée dans Les Aventuriers du Ciel selon laquelle la planète Vénus serait devenue le refuge des dieux gréco-romains ?

R.M De Nizerolles, c'est à dire Marcel Priollet, naquit en 1884 à Ivry sur Seine. Sa biographie est lacunaire. Il fut le fils de Marie Denise Elisa Hurtel et de Charles Camille Priollet. Il épousa Fernande Bernard en 1911 dont il eut, semble-t-il, deux enfants. Il usa de nombreux pseudonymes (René Valbreuse, Henry de Trémières, Claude Fleurange...) et donna aux éditions Ferenczi ou Tallandier un florilège de romans à l'eau de rose dont les titres sont à eux-seuls un programme : Trompée au seuil de la chambre nuptiale publié sous forme de fascicules, Flétrie… à jamais, etc...

Il débuta avec des comédies bouffonnes et des pièces de théâtre dès 1907. Il donna ainsi un Napoléon III, pièce historique en 5 actes et 8 tableaux (en collaboration avec son frère aîné Julien) ou encore Un enfant de masseur, vaudeville en un acte (1908). De 1911 à 1913, il publia chez Ferenczi en 111 fascicules de 16 pages, sous le pseudonyme de René Marcel De Nizerolles, Les Voyages aériens d’un petit Parisien à travers le monde. Le succès en fut considérable et poussèrent, une vingtaine d’année plus tard, les éditions Ferenczi à lui demander une suite. En 1913 sortit un premier roman sentimental : L'amour chante... L'amour ment. Des centaines d'autres suivirent jusqu'à son décès en 1960 à Paris.

En 1914 il fut mobilisé et rejoignit le 4ème régiment d'infanterie. Il fut blessé à deux reprises puis versé au dépôt du matériel automobile. Il retourna à l'écriture dès 1916 en publiant des romans mélodramatiques à consonances patriotiques : Olga la Cosaque, roman de guerre et d'amour, La petite mobilisée, toujours chez Ferenczi.
 
Marcel Priollet fut une figure emblématique du roman populaire. Il aborda de nombreux genres (romance, policier, aventure) et en particulier la science-fiction à travers la seconde série des aventures du jeune Tintin (surnom de son héros Justin Blanchard) le petit Parisien des Voyages Aériens. Le roman populaire est parfois la première marche que l'on gravit dans la découverte littéraire ; il est donc intéressant de rechercher, à travers des textes certes vieillissants mais qui suscitèrent en leur temps un réel engouement, les valeurs affichées et les thèmes capables d'encourager les jeunes (ou moins jeunes) lecteurs à suivre le chemin qui conduit vers des œuvres plus riches et complexes.

Les éditions Ferenczi lui commandèrent donc en 1935 une nouvelle série d'aventures (108 fascicules de 16 pages) de son populaire personnage Tintin. Celles-ci eurent pour cadre le système solaire : la Lune, Mars, Jupiter, Vénus, peuplées d'étranges créatures extra-terrestres.

De nos jours, le synopsis des Aventuriers du ciel peut prêter à sourire. Le résumé de quelques épisodes est à cet égard édifiant :

Le Bolide, appareil à locomotion interplanétaire conçu et construit par l'astronaute français Germain Landry a quitté mystérieusement la Terre. On apprend que l'engin, parti prématurément a emporté dans ses flancs quatre personnages : le professeur Saint-Marc, le reporter anglais Timmy-Ropp, l'espion allemand Rinhoff et Justin Blanchard, dit Tintin, le jeune héros. Tandis que d'une façon générale on désespère de voir jamais revenir les Aventuriers du Ciel, Yvonne Blanchard, la jeune sœur de Tintin, conçoit un généreux projet. Elle veut trouver les moyens de procurer à Germain Landry les capitaux nécessaires à la construction d'un second Bolide, qui partirait à la recherche des disparus. Après avoir vainement tenté de découvrir le trésor des Pharaons dans la vallée supérieure du Nil, la fillette est reçue en audience privée par le roi d'Egypte. Elle est accompagnée de l'aviateur Roland Davoz, de l'explorateur Gérard Lonvalet et de Jean de Requirec, fougueux adolescent épris d'aventures. Le souverain apprend à Yvonne que, sur sa demande, le gouvernement égyptien s'inscrit pour une forte somme en tête de la souscription publique, destinée à couvrir les frais de construction du Bolide n°2. Le roi, qui espère que cet exemple sera suivi, se dispose ensuite à faire à ses visiteurs une mystérieuse et importante confidence.

Pendant ce temps, les quatre « astronautes » ont poursuivi leur fantastique voyage dans l'infini du ciel. Ils ont exploré la stratosphère, visité la Lune, pour se poser enfin sur Mars où ils sont allés de découverte en découverte. En dernier lieu, après bien des tribulations, les quatre terriens sont prisonniers dans Laboratopolis, la cité scientifique dont les martiens s'enorgueillissent. Tintin entend tirer ses amis et lui-même de ce mauvais pas. Dans ce but, il revêt l'armure d'un slavok, automates qui sur Mars servent d'esclaves. (Ceux-ci finiront par se révolter). Ainsi déguisé Tintin peut pénétrer dans le bureau du gouverneur de la ville. Mais cela se passe le jour même où ce haut personnage vient de tenter un coup d'état et de se proclamer dictateur de la planète. Tintin est le témoin oculaire de cette page d'histoire martienne, mais il commet l'imprudence de parler, il va même jusqu'à admonester vertement le nouveau dictateur ! Celui-ci, passant de l'émerveillement au courroux entend anéantir l'étrange slavok. Tintin en réchappe et l'équipage s'enfuit de Mars pour la Terre. Mais une tragique erreur fait que l'appareil manque son but et semble devoir se perdre dans l'infini. En fait il n'en est rien, nos héros se retrouvent sur Vénus où d'immenses montagnes semblent se déplacer sur elles-mêmes, comme si elles étaient montées sur roulettes. Entre temps, la sœur de Tintin, Yvonne, a réussi à réunir le capital nécessaire à la construction du Bolide n°2 grâce à la générosité de l'américain Mac Julian Brown. Mais le milliardaire exige de faire partie de l'exploration projetée. Quelques péripéties s'enchaînent alors (vol transatlantique, escale sur une île où Mac Julian Brown détient un trésor, irruption d'un lionceau qui vient activer le système de protection du dit trésor, etc...)

Sur Vénus nos explorateurs feront la connaissance d'un personnage qui ne parle que le grec ancien et leur affirme être le dieu Mercure. Il s'offrira à présenter aux voyageurs les autres dieux mythologiques...

Ces aventures débridées furent publiées hebdomadairement de 1935 à 1937. Bien sûr, la naïveté y côtoie l'invraisemblable et le caractère stéréotypé des personnages est à la rigueur amusant. Les Allemands sont évidemment perfides, (Rinhoff n'est-il pas un vilain espion chargé à l'origine de dérober les plans du Bolide ?) les Américains forcément généreux et capricieux, Français et Anglais rivalisent d’héroïsme et d'humanisme : tous ces clichés sont bien dans l'air du temps. Mais il serait imprudent de ne conserver de cette lecture que ces images et d'en occulter l'incroyable inventivité – totalement délirante parfois – et la poésie manifeste que ces pages renferment.

R.M. De Nizerolles sut, en feuilletoniste confirmé, captiver et enchanter toute une génération de lecteurs en offrant sur un plateau un cycle d'aventures échevelées, dynamiques, usant sans vergogne de tous les ressorts du roman d'aventure et proposant des fantaisies que seule une imagination féconde pouvait susciter.

Après-guerre, Les Aventuriers du Ciel connurent une réédition partielle chez Ferenczi, bénéficiant de couvertures en couleurs. En 1955, René Giffey en réalisa une adaptation BD dans l'Intrépide (n°275 à 352 en 1955-56 - Éditions Nous Deux).

La seconde guerre mondiale, l'occupation et ses drames créèrent les conditions d'une rupture profonde dans la société française. Cependant, les lecteurs nourris par Les Aventuriers du Ciel dans leur jeunesse et qui eurent entre 20 et 30 ans en 1950 ne renièrent pas cet héritage. Ils constituèrent même la principale clientèle des collections Anticipation et Angoisse du Fleuve Noir, garantissant ainsi leur succès. Étonnamment, Marcel Priollet n'y figura pas comme auteur alors que nombre de ses confrères (Maurice Limat, Adrien Sobra, Paul Bérato) y trouvèrent un second souffle. Autre bizarrerie : cet auteur délaissa la SF à l'issue des Aventuriers du Ciel pour ne plus produire que de la romance ou du policier.

Totalement oublié de nos jours, ce prolifique écrivain influença la génération d'amateurs qui permit l'essor de la science-fiction en France à partir des années 1950.

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